L’adage selon lequel « l’enfer est pavé de bonnes intentions » se vérifie à nouveau, avec un potentiel effet boomerang des lois Grenelle 1 et 2, Alur, Royal « LTE » et Elan dans leurs dispositions sur la transition énergétique vers la RC du syndic de copropriété, même si ce risque ne se présentera que demain et au plus tôt en 2020.
Les syndics de copropriété doivent être obligatoirement assurés en responsabilité civile professionnelle depuis la loi HOGUET du 2 janvier 1970. C’était même l’une des mesures phare de la législation sur les agents immobiliers au même titre que l’obligation de garantie financière des fonds versés par les clients et l’obligation de détenir une carte professionnelle (législation d’ailleurs enviée par les professionnels étrangers qui ne disposent pas tous de ces garanties du consommateur immobilier…) Une jurisprudence abondante a eu l’occasion depuis lors de cerner les fautes et le préjudice subi par les clients au titre de cette responsabilité essentiellement fondée sur une l’obligation de moyen, que recèle leur devoir de conseil. Ainsi à titre d’exemple, avant la promulgation de la Loi Alur le régime juridique des locations meublées n’exigeait pas du preneur qu’il souscrive une assurance contre les risques locatifs, seule une stipulation du bail pouvant l’y contraindre. Suivant un arrêt de la Cour de Cassation du 31 mars 2016 (n° 15-11078) l’agent immobilier peut être tenu de la responsabilité de n’avoir pas sollicité l’attestation d‘assurance des risques locatifs, sur un raisonnement basé sur une perte de chance d’exercer un recours contre l’assureur du preneur, même si la Cour de Cassation restreint cette obligation du professionnel à la seule durée du seul bail initial. De même, plus proche de nous, un arrêt de la Cour de Cassation du 6 juin 2018 (n° 17-15 261) rappelle que la défaillance financière d’un promoteur est susceptible d’entraîner la responsabilité des différents intervenants professionnels du programme, que ce soit l’agent immobilier ayant commercialisé le programme, le garant qui tarde à intervenir ou encore le notaire qui n’avertit pas les acquéreurs sur les difficultés affectant le programme immobilier, la cour de cassation raisonnant ici encore en terme de perte de chance. Ces exemples peuvent être multipliés à l’envie, car c’est parce qu’il est professionnel assuré, que l’agent immobilier se voit attrait dans de nombreux procès qui d’ailleurs n’aboutissent pas aussi systématiquement qu’on le pense à la condamnation des professionnels – souvent parce que s’il y a une faute, elle n’est en soi pas créatrice d’un préjudice réel et indemnisable.
L’évolution de la profession de syndic : La croissance verte…
Un Ministre a pu dire récemment : « Je veux que les syndics soient les ambassadeurs des rénovations énergétiques ! ». Soit, allons-y ! La profession est aujourd’hui à un tournant de son existence. D’une part la copropriété est en inéluctable augmentation (dans le monde entier), d’autre part la demande d’expertise des syndics de copropriété est de plus en plus exigée par les clients qui se perdent dans la réglementation. Par exemple l’obligation de poser des compteurs individuels de chauffage de la loi Royal LTE très décriée est remise à zéro par la loi Elan alors que le législateur prévoyait pourtant antérieurement une amende faute de s’y soumettre ! Comprenne qui pourra… Tel syndic perdra un immeuble au profit d’un autre qui connaîtra mieux la réglementation de la transition énergétique et de la croissance verte en ayant assimilé successivement les lois Grenelle I et II, la loi Alur, La Loi Royal- LTE puis la Loi Elan et leur cortège de décrets, Arrêtés et Circulaires et leurs nouveaux outils de gestion. Il n’y a pas que la loi du 10 juillet 1965 qui réglemente la copropriété car il faut connaître également les arcanes du code de l’énergie, du code de l’environnement, du code du travail, du règlement sanitaire, de la réglementation incendie, des règles d’hygiène et du code de l’urbanisme ! C’est ce que recèlent le DTG (Diagnostic technique global) et le plan pluriannuel de travaux avec une véritable étude du fonds travaux que les syndics doivent maîtriser après des formations obligatoires (deux jours par an depuis la loi Alur). L’agent immobilier, le syndic, le gérant sont devenus par le bénéfice d’un législateur ignorant de la réalité du métier, un sachant omniscient, dont la responsabilité s’étend à chaque nouvelle mouture législative. Le syndic est confronté en permanence aux travaux dont on dit qu’ils ne sont plus « qu’éco-travaux » en vue d’« éco-copropriétés » dans des « éco-quartiers » (bien sûr…). Il porte la casquette d’Amod pour lequel il est rémunéré en % pourcentage sur ces travaux qu’il surveille plus ou moins car tout dépend de ce qu’il fait véritablement : de la gestion comptable et administrative de travaux ou de l’immixtion dans le chantier. Il doit au surplus endosser le costume d’ingénieur financier car il lui faut obligatoirement rechercher les meilleures conditions financières des marchés de travaux et en plus les aides et subventions financières multiples et variées dans notre pays en plus sans garantie de stabilité d’une année à l’autre ! Un maquis, un véritable parcours du combattant ! Quelle responsabilité s’il s’y perd ou s’il chute !
Puisque le législateur, dans son infinie sagesse, explique que l’agent immobilier est omniscient…
Il reste à espérer que la police d’assurances RCP du professionnel immobilier le couvre bien des nouvelles taches parfois extensives et à la limite de la maîtrise d’œuvre qui n’est pas son rôle et qui risque d’entraîner une non garantie de l’assureur… Et il doit s’organiser pour appréhender des nouveaux métiers ou services connexes d’aujourd’hui et de demain : « conciergerie de copropriété », gestionnaire de réseaux sociaux de résidents et commerçants locaux, gestionnaire du carnet d’entretien numérique, animateur de plan biodiversité, de jardins potagers collectifs ou de composts collectifs, gestionnaire de restaurant collectif ou de tables d’hôtes dans la copropriété ou encore de co-working dans l’immeuble, bref tout ce qui gravite autour de « l’usage » en plus de la propriété en elle-même… Oui, c’est nouveau et source de responsabilités nouvelles, parce que tout ce qui doit être fait par l’agent immobilier peut potentiellement engager sa RC s’il ne le fait pas ou le fait mal… Cela ne veut pas dire qu’il sera condamné, mais qu’il aura au moins à subir quelques années de procédures, et en cas de RC engagée, sa franchise voir pire si son assureur de RC professionnelle dénie sa garantie. Sera-t-il assigné en responsabilité pour défaut de conseil et de prévoyance par exemple parce que les aides et subventions financières auront disparu pour certaines ou que les finances de la copropriété seront obérées faute d’analyse d’un fonds travaux au-delà des 5 % légaux ? Gérer une copropriété comme une société commerciale avec des actifs potentiels comme aux États-Unis ? Tel est le débat ! Si on peut penser que la plupart des contrats d’assurance de responsabilité accepteront que les manquements à ces nouvelles missions soient intégrés au régime RC professionnel classique, il est important de rappeler que le principe de base pour un assureur est de garantir un exercice certes fautif, mais licite, d’une activité professionnelle réglementée. En clair, plus le manquement à une règle légale est flagrant, plus le risque est grand qu’il soit invoqué une exclusion de la faute, qualifiée d’intentionnelle au sens de l’article L 113-1 du Code des Assurances, et donc non assurable. C’est la « nouvelle donne » des professionnels immobiliers…
Maître Olivier Brane, avocat honoraire et Maître Stéphane Choisez, avocat au Barreau de Paris