A -t-on jamais eu autant besoin des syndics de copropriété qu’aujourd’hui ? Leur mission ordinaire, définie en 1965 avec précision par la loi qui instauré le régime de la copropriété dans notre pays, suffisait à les rendre indispensables ou presque : assurer la gestion des immeubles collectifs et les pérenniser, en mettant en œuvre les décisions du syndicat des copropriétaires. D’ailleurs, leur taux de pénétration est hors norme pour des professions de service, avec 90 % des copropriétés dans leurs mains. Pourtant, leur mission est encore renforcée depuis quelques années par des défis dont ils sont la condition de la réussite. Celui de la transition environnementale bien sûr, mais aussi celui de la lutte contre l’habitat indigne. Les lois successives font d’eux ce qu’il est désormais convenu de nommer des tiers de confiance. On compte aussi sur leur capacité de conseil pour densifier le bâti par la surélévation, le convertir en favorisant la transformation de copropriétés de bureaux en copropriétés résidentielles ou encore pour maintenir l’occupation sereine des immeubles malgré le développement des locations meublées de courte durée.
On pourrait penser que l’âge d’or du syndic professionnel commence et qu’il va être dépositaire de l’estime publique en même temps qu’il devient central pour atteindre les objectifs supérieurs assignés aux copropriétés françaises. Il n’en est rien. La communauté a bien du mal à se rassurer par des sondages qui distinguent la considération individuelle, bonne, et la mésestime collective, difficilement contestable. À l’inverse, elle sombre parfois dans une paranoïa malvenue : y a-t-il plus d’agressivité dans une assemblée générale envers le gestionnaire que dans la salle d’attente des urgences de l’hôpital à l’encontre des infirmiers ? Il reste que dans la hiérarchie des métiers, le syndic se classe mal quant au regard porté par les Français et que le législateur lui-même entend contrôler toujours plus l’exercice de la gestion des copropriétés.
Un épisode récent vient d’administrer la preuve de la suspicion dont les syndics professionnels font les frais, l’examen à l’Assemblée national du projet de loi relatif à l’accélération et à la simplification de la rénovation de l’habitat dégradé et des grandes opérations d’aménagement.
Culpabilité des syndics ?
Le texte du gouvernement, sur ce point voté à la quasi-unanimité des parlementaires, instaure ni plus ni moins qu’une présomption de culpabilité des syndics. Ainsi, si un professionnel ne déclenche pas la procédure d’alerte existante en cas de niveau d’impayés de charges élevé, il pourra être condamné à assumer le coût de l’administration provisoire de l’immeuble, c’est-à-dire les honoraires de l’administrateur judiciaire nommé. Ce doigt pointé par la future loi ignore le devoir d’appréciation des situations par le syndic, qui sait que dans tel immeuble les retards de paiement ne se traduiront pas par une faillite, et qu’ils seront rattrapés. Le projet de loi a également été enrichi au cours du débat à l’Assemblée par un par un article qui inaugure le concept de « syndic d’intérêt collectif » pour gérer les copropriétés en difficultés… une façon de dire que les syndics tels qu’ils exercent ne sont pas du côté de l’intérêt de leurs clients. Violent en fait.
Ce n’est pas tout
De nombreux amendements ont été déposés par des députés de tous bords de nature à réduire la liberté des syndics. On peut citer l’interdiction de travailler avec des sociétés filiales et de les faire participer à des mises en concurrence au profit des copropriétés, ou encore le plafonnement des frais de relance des copropriétaires débiteurs et la limitation de leur nombre. La liste est longue. Ces amendements n’ont pas prospéré pour des raisons purement techniques : ils ont été déclarés irrecevables parce qu’ils étaient cavaliers, c’est-à-dire sans rapport direct avec le thème du projet de loi ou encore parce qu’ils concernaient le règlement et non le champs légal, c’est-à-dire relevaient de décrets. Dans le même temps, des initiatives parlementaires fleurissent, tous azimuts, pour changer le cadre de l’activité de syndic. Le député Ferracci voudrait déréguler, pour augmenter la concurrence entre les cabinets de gestion, quand l’un de ses collègues prépare la proposition de création d’un ordre professionnel. La profession, ses organisations représentatives, ne pourront pas faire l’économie d’une réflexion de fond, quasi ontologique, sur ce métier, sans doute le plus porteur d’avenir entre tous les métiers de l’immobilier, mais aussi le plus sujet à remise en question. Sortir de l’ère du soupçon pour écrire un destin heureux.