On ne se pose plus la question, pourtant cruciale : les copropriétaires d’un même immeuble se sentent-ils membres d’une communauté à part entière, partageant un même destin, ou seulement d’une assemblée de droit, forcée et subie ? L’interrogation n’est pas seulement philosophique, elle a des implications fortes dans la vie même des copropriétés : si les ménages qui cohabitent n’ont pas l’idée d’un bien commun, à valoriser de concert, s’ils ont l’impression que leur situation est un pis-aller, alors ils ne s’engageront pas ni ne seront portés par un élan positif. Dans le cas contraire, les décisions et les actes auront du souffle, quelle que soit leur nature ou leur ampleur.
Clairement, la copropriété est une situation qui n’a pas été recherchée par les copropriétaires. On choisit un appartement qui plaît, dans le quartier qui séduit d’une ville souhaitée. Certes, on trouve l’immeuble à son goût, son architecture, son style, sa sociologie même. On n’a aucune idée de l’identité de ses voisins, de leur structure familiale, de leurs habitudes de vie, de leur éducation. Dans le meilleur des cas, ça collera, dans le pire ce sera l’enfer, et entre les deux on s’en accommodera. À cet égard, rien à voir avec les condominiums anglo-saxons, dans lesquels les propriétaires des appartements d’un immeuble peuvent s’opposer à l’entrée d’un nouveau membre jugé non soluble dans leur collectivité. On raconte ainsi que l’actrice américaine Kim Basinger, au sommet de sa gloire, a fait l’unanimité contre elle au sein d’un immeuble de grand standing d’une ville de la côte ouest… On lui prêtait des mœurs légères et on craignait qu’elle troublât la sérénité ambiante.
Un homme a estimé il y a plus de vingt ans qu’au bout du compte une copropriété était bel et bien un destin commun : Atanase Périfan, l’inventeur de la Fête des voisins et de Voisins solidaires, est habité de la conviction qu’un lien affectif unit les copropriétaires, qu’ils le veuillent ou non, et qu’il suffit d’allumer la flamme pour que le feu prenne. D’autres après lui, adeptes du digital, ont la même croyance : ChouetteCopro ou Alacaza se sont construits sur le principe d’activer ce lien, sinon d’affect, du moins de partage d’informations et de solutions quotidiennes, à titre onéreux ou gratuit. Il s’ajoute à leurs enthousiasmes d’évidentes réalités du moment : contre toute attente, à rebours des discours chagrins sur l’irréalisme de la transition environnementale, le chemin va conduire à moderniser les immeubles de nos villes et villages, à profiter des obligations de la rénovation énergétique pour embarquer des travaux de rajeunissement et d’entretien courants, et à valoriser le patrimoine collectif. C’est une destinée, indéniablement. Les syndics peuvent-ils faire monter cette alchimie ? Oui, bien sûr.
Les travaux de première importance que l’essentiel des copropriétés va devoir voter à la lumière des audits menés au sein des immeubles exigeront du dialogue et de la cohésion, pour décider et investir. Cohésion encore quand il va falloir des modes de financement collectifs, ou au moins des solutions partagées, épargne et crédit. Même les propriétaires non occupants, les bailleurs, naguère indifférents au progrès de l’immeuble, entreront dans la danse… sauf à ne plus pouvoir louer.
En outre, la guerre en Ukraine et ses conséquences sur le coût de l’énergie et des matières premières vont servir d’intégrateurs négatifs : entre la frugalité de la consommation, qui va se décider dans le consensus pour ajuster les dates de mise en service du chauffage ou la température moyenne des logements, et le besoin de maîtriser des factures insupportables, les copropriétaires vont être plus solidaires les uns des autres. Dans une entreprise, c’est moins la politique de gestion des ressources humaines qu’un bel objectif de conquête d’un marché, de croissance externe ou encore l’émergence d’un âpre compétiteur qui entraîne le collectif. Il n’est que temps de réaliser que la transition environnementale, dont la nécessité vitale apparaît violemment à l’occasion d’un conflit géopolitique, est un ciment entre les copropriétaires et avec le syndic. Loin de constituer une malédiction, elle définit un cap heureux : s’efforcer ensemble pour valoriser parties communes et privatives, apprendre aussi à vivre différemment. Elle sera allégée si nous voyons les choses ainsi, alors que les discours sur la vertu contrainte tuent l’envie.