Madame Cornu était une personne pragmatique, 85 ans et une patate d’enfer. Elle vivait dans son petit studio sous les toits en zinc, quartier du Marais. Seule au dernier étage, les trois autres chambres étaient désertées à part quelques touristes de passage, elle râlait contre les valises à roulettes mais en vrai ça lui faisait un peu de compagnie. Madame Cornu n’avait pas la langue dans sa poche, argot titi parisien, fan de foot, poster de Ginola grandeur nature. Les voisins l’appelaient la poissonnière, j’étais son syndic et elle m’aimait bien, elle tapait le carton au bar-tabac le dimanche, sirotait sa liqueur de gentiane, langage un peu charretier, une grande gueule comme on les aime.
« Vous me réclamez encore 300 balles ? »
L’AG avait voté le PPPT, et la mère Cornu venait de recevoir mon appel de fonds encore tout chaud.
– « Monsieur Frémont bonjour, j’ai reçu votre facture, vous me réclamez encore 300 balles ? ».
– « Oui c’est le PPPT ».
– « Le quoi ? ».
– « Le projet de plan pluriannuel de travaux ».
– « À vos souhaits ».
– « Merci, c’est pour les travaux à faire, les économies d’énergie aussi ».
– « Mais on l’a pas déjà fait ça ? ».
– « Si, enfin non, c’était le DTG, le diagnostic technique global, il y a 5 ans, le truc que vous aviez refusé de voter parce que ça servait à rien ».
– « Tu m’étonnes, juste après les ascenseurs ça m’avait coûté un billet ça aussi ».
– « Voilà, mais là en plus on fera l’audit énergétique ».
– « Ah ça par contre on l’a déjà payé je m’en souviens ! ».
– « Oui, enfin non, c’était le DPE, le diagnostic de performance énergétique ».
– « C’est pas pareil ? ».
– « Pas tout à fait, enfin si, en tout cas faut le refaire, cette fois c’est plus complet, un peu plus cher aussi ».
– « Je comprends rien à ce que vous me racontez, à part que vous me ponctionnez encore 300 balles et qu’il fait toujours 50 degrés chez moi ».
– « Je sais, désolé Madame Cornu, mais c’est pas moi qui fais la loi ».
– « Mouais, les politicards je m’en méfie, j’en ai vu défiler des ministres, des charlots je te dis, ils passent un an, nous pondent une loi et fichent le camp ».
– « Oui mais cette fois c’est du sérieux Madame Cornu, vous ne pourrez plus louer ».
– « On verra, commencez déjà par nettoyer la cage, tous ces fils ça fait dégueulasse. J’en ai marre de raquer pour des audits, l’autre fois soi-disant c’était le règlement de copropriété, ça a fini à la poubelle, Monsieur Zerbi a saqué le rapport en deux-deux, il s’écoute parler lui aussi, le type n’est jamais sorti de chez lui et il se prend pour le chaman, je peux pas l’encaisser ».
« Vous me charriez là ! »
Madame Cornu est en roue libre, j’essaye de lui expliquer tant bien que mal que « concrètement à la prochaine réunion je vous proposerai un PPT, c’est la suite du triple PT mais avec un P en moins, vous comprenez ? ».
– « Clair comme de l’eau de roche ».
– « On aura trois scénarios ».
– « Et si on n’en veut aucun ? ».
– « Ben je vous le remettrai l’année d’après ».
– « Et si on n’en veut toujours pas ? ».
– « Ben je vous le remettrai encore ».
– « Vous lâchez pas le morceau vous ».
– « C’est pas moi, d’ailleurs le PPPT faudra le refaire tous les 10 ans ».
– « Vous me charriez là ? ».
– « Non, mais d’ici là vous aurez peut-être fait des travaux ? ».
– « D’ici là je serai entre quatre planches mon loulou. Allez je vous envoie mon chèque. Faites-en bon usage ».