Baron noir n’est rien à côté de la copropriété. Le plus habile des conspirateurs n’arrivera jamais à la cheville d’un copropriétaire prêt à en découdre avec ses voisins. Lorsqu’il est question de voter, à plus forte raison pour l’élection de son syndic, le surintendant de cette démocratie cloîtrée, les clans s’affrontent dans une lutte fratricide. Les coups bas, les machinations, les alliances, les vengeances, sont de mise. La propagande de couloir se déchaîne.
Les murs ont des oreilles.
L’assemblée se profilait dans quelques jours. Sieur Montaigu, mon Président de conseil syndical, m’avait à la bonne. Son adversaire historique, l’Archiduc Capulet, voulait l’éliminer et moi avec. Ils avaient un vieux contentieux,
une sombre histoire de boîte aux lettres. Son contrat concurrent figurait à l’ordre du jour. La pression était montée d’un cran, les parties retenaient leur souffle. Celui des deux qui ferait passer son vassal prendrait l’ascendant sur son rival à tout jamais.
J’ai fait du lobbying
Sieur Montaigu m’appela : « Gilles, on ne va pas se laisser marcher dessus. Ils changent de syndic tous les deux ans, c’est des malades. J’ai fait du lobbying depuis un mois. No pasaràn ! Voilà les personnes qui devraient voter pour nous :
Filippucci (la fille), elle t’envoie un mail avec son pouvoir. Si elle nous trahit on lui fait sauter son échéancier. Larbalette (la mère), je l’ai chauffée à blanc, elle vient à l’AG et monte au créneau, elle est en furie c’est bon pour nous, elle a la voix qui porte en face ils vont trembler. Brigitte, je viens de lui renvoyer un sms, un WhatsApp, un Snaptchat et un Instagram, j’harcèle, c’est une wokiste tendance platiste, si je lui dis que c’est pour virer le patriarche elle foncera tête baissée. Par contre la mère Denis ne me répond plus, j’espère qu’elle va pas nous claquer entre les doigts avant l’AG vu son état de santé. Sinon pas grave, je demanderai le pouvoir aux héritiers. Frédéric s’occupe de Raffiniac, il l’attend au coin de la cage, le couteau entre les dents. Il est obligé de dire oui sinon je ne lui vends plus ma cave. Celui-là, il ne jure que par le pognon ça va le rendre dingue. Le Suisse du premier étage il va pas rester neutre longtemps j’te le dis, enlève-lui la case abstention sur son formulaire. La veuve Zimmer sera là. C’est une coriace elle mord aux mollets. Le dernier président se faisait payer ses frais de bouche, elle l’a crucifié en place publique, c’était pas beau à voir.
En ballottage : Hubert, il fait le mort, je m’en méfie, il a déjà retourné sa veste plusieurs fois, une vraie anguille, avec lui c’est Judas le retour. Le gros bailleur du rez-de-chaussée, je le travaille au corps mais c’est pas simple, il veut négocier sa nouvelle devanture en échange, des néons rouges partout on dirait un sex-shop, c’est infâme mais tant pis, de toute façon avec les gens qui habitent là l’immeuble caractère bourgeois ça fait longtemps que c’est fini. Pauline, l’actrice du 4e, elle a déjà donné son pouvoir au camp d’en face mais je vais me l’alpaguer ce soir, je remonte de la cave, un Pommard et deux verres ça va le faire, je lui donnerai son César ».
Les liaisons dangereuses
La Marquise de Merteuil si dure soit-elle n’aurait pas survécu deux jours. Au Royaume du Syndicat des copropriétaires, l’Archiduc Capulet n’avait pas dit son dernier mot, et complotait lui aussi en coulisses. La guerre des pouvoirs s’annonçait tellurique et implacable. L’Assemblée Générale, à l’épée, allait départager son grand vainqueur, son Grand Timonier.