Pour s’endormir le soir dans son lit, on peut compter les moutons. Mais il y a encore plus simple : lire la convention IRSI. S’il y a bien une chose qui m’échappe encore au bout de vingt ans, c’est bien la garantie recherche de fuite, un concept aux frontières floues à en dormir debout. « Si vous croyez comprendre la mécanique quantique, c’est que vous ne la comprenez pas ». Quoique la mécanique quantique, métaphysique ou parasismique, doit être encore moins complexe à saisir que la garantie recherche de fuite. Est-il possible, voire hautement probable, que les assureurs qui l’ont enfanté, la comprennent eux-mêmes ? L’autre matin, Monsieur Jeanjean m’appelle, plutôt paniqué. Ça pissait à grande eau dans son salon, et, plutôt que de contacter un plombier, ou son voisin, ou les pompiers, ou la Dalaï-lama, il préféra appeler son syndic, comme un réflexe inné, une seconde peau. Avant même de positionner un seau ou tout autre récipient susceptible de contenir le dégât des eaux, Monsieur Jeanjean se demandait d’abord qui allait payer. Cette question fatidique et existentielle au cœur de tant de débats, tant de crises, tant de haine. « Plutôt me noyer sous les eaux que de payer quelques euros ». Monsieur le syndic, qui a payé le plombier ? Vous avez 4 heures. Et c’est donc à cet instant précis qu’entre en jeu la fameuse garantie recherche de fuite. La question de départ est somme toute assez banale et tout à fait compréhensible, presque légitime.
Qui paye ?
– « Bonjour Monsieur Frémont, j’ai appelé mon assurance, elle m’a dit de voir ça avec le syndic ».
– « Évidemment. Vous êtes propriétaire ? »
– « Non locataire ».
– « Ah. théoriquement je ne suis pas censé vous parler, mais c’est bien à votre assurance d’intervenir, vous êtes l’occupant ».
– « Oui mais ils m’ont dit que c’était trop compliqué, enfin qu’il fallait faire un trou dans le mur pour voir, ou passer par une entreprise spécialisée pour une coloscopie ».
– « Ça dépend. sondage destructif ou non destructif ? ».
– « Mais si vous détruisez, qui va payer le rebouchage de mon trou ? ».
– « Ça dépend. Si on trouve la fuite ou si on ne la trouve pas ».
– « Si vous la trouvez qui paye ? ».
– « Ça dépend. Si ça vient d’une partie commune ou d’une partie privative ».
– « Comment peut-on savoir ? ».
– « Ça dépend. Avant ou après le robinet d’arrêt ? ».
– « Et pourquoi ce n’est pas à mon propriétaire de s’en occuper d’abord ? ».
– « Ça dépend. Il a une PNO ou il n’en a pas ? ».
– « Donc c’est bien l’immeuble qui prend en charge alors ? ».
– « Ça dépend. Si la multirisque immeuble est adhérente à la convention IRSI ou si elle ne l’est pas ».
– « C’est pas la convention CIDRE ? ».
– « Ça dépend. Ça c’était avant. Après il reste quand même la convention CIDE-COP, faut voir ».
– « Bon peu importe que ce soit Pierre, Paul, ou Jacques, vous m’avez dit que votre assurance était signataire de toutes ces conventions, donc elle couvre bien ? ».
– « Ça dépend. Si vos dommages sont supérieurs ou inférieurs à 1 600 €, ou supérieurs ou inférieurs à 5 000 €. Voyez-vous il y a deux seuils, donc trois tranches, donc deux assureurs, ou trois si vous comptez celle du voisin».
– « Ah parce qu’il va falloir qu’ils se mettent tous d’accord ? ».
– « Ça dépend. S’ils font une expertise contradictoire ou juste une expertise pour compte commun. C’est la même chose mais c’est pas pareil ».
– « Moi ce que je veux c’est ne RIEN payer ».
– « Ça dépend. Cause ou conséquence ? ».
– « C’est la conséquence je viens de vous le dire ! ».
– « Alors ça dépend. Dommages mobiliers ou immobiliers ? ».
– « Mobiliers ! »
– « Ok donc ça dépend. Meublé ou pas meublé ? ».
– « Peu importe c’est chez moi, je suis la victime !!».
– « Oui mais ça dépend. Coffrage esthétique ou d’origine ? ».
– « Je ne veux pas sortir un centime !».
– « Ça dépend. Vétusté ou pas vétusté ? ».
– « Tout est neuf donc je veux être indemnisé à 100 % ! ».
– « Attention ça dépend. Franchise ou pas franchise ? ».
– « Vous m’embrouillez là, vous le faites exprès ? ».
– « Ça dépend. Vous parlez de moi ou de l’assurance ? ».
– « J’ai compris, ça dépend, ça dépasse. Au revoir ».
Le dilemme
À la fin de cette conversation, deux choix s’offrent à vous. Soit vous faites fi des règles ambiguës de la garantie recherche de fuite, et, de guerre lasse, vous envoyez le plombier de l’immeuble et advienne que pourra. Soit, idéaliste et puriste, vous vous obstinez, votre dossier s’épaissit dangereusement, et la fuite ne cesse de couler pendant que tout ce beau monde continue de débattre indéfiniment sur le sexe des anges.
Amis syndics, avez-vous fait votre choix ?