a copropriété est un lieu étrange : elle doit sans cesse réussir ce tour de force de conduire des individus à penser et à décider collectif. À cet égard, et notre pays en est désormais un laboratoire de chaque instant, la démocratie vit sur le même principe : nous mesurons aujourd’hui, notamment pendant que se déroule à l’Assemblée nationale l’examen du projet de loi de finances pour 2025, combien il est difficile de créer cette alchimie et de mener les identités et les différences à s’assimiler au profit de l’intérêt collectif.
Le frein majeur au progrès de la transition environnementale dans les immeubles en copropriété tient d’abord à cette difficulté : là où les copropriétaires bailleurs ont besoin de rehausser sans délai la performance énergétique de leur logement, sous peine de ne plus pouvoir le louer, les copropriétaires occupants n’ont pas la même contrainte juridique. D’autres distinctions de situations personnelles interviennent bien sûr, dans l’ordre de la capacité financière, de l’âge et des perspectives de vie, de la sensibilité à la valorisation…
Un geste d’amélioration de la performance écologique des immeubles collectifs fait en quelque sorte la synthèse entre l’intérêt individuel et l’intérêt de la communauté des copropriétaires : l’individualisation des frais de chauffage. Pour faire baisser en moyenne de 10 % à 25 % la facture consolidée d’une copropriété, chaque consommateur est responsabilisé quant à sa propre consommation.
Le législateur français, après que d’autres pays d’Europe et du monde ont adopté cette solution, a rendu obligatoire l’installation de compteurs individuels pour la consommation de chauffage des occupants dans les copropriétés. Dans tous les immeubles équipés de chauffage collectif, hormis ceux pour lesquels les travaux sont techniquement impossibles ou entraîneraient des coûts excessifs, ou dont la consommation est inférieure à 80 kWh/m2/an, les compteurs devaient être posés avant le 25 octobre… 2020. Si la loi ELAN de 2018 est venue préciser l’obligation, elle avait bel et bien été créée par la loi relative à la transition énergétique du 25 août 2015.
Où en est-on du respect de cette obligation ?
À ce jour, 40 % des immeubles concernés, déduction faite de ceux qui renvoient aux critères d’exemption admis par la loi, sont effectivement équipés. Quatre ans après la date limite, alors que des sanctions pécuniaires prévues par les textes pourraient être appliquées -1 500 € par logement non équipé ! -, 6 copropriétés sur 10 ne sont pas passées à l’acte. Accessoirement, la responsabilité des syndicats de copropriété et de leurs mandataires est engagée, et un copropriétaire estimant que ses factures sont trop élevées en regard de sa consommation réelle serait en droit de demander réparation et d’enjoindre la copropriété de s’équiper. Le vrai sujet n’est pas là : ce progrès technologique coûte infiniment moins que les travaux d’amélioration du bâti qu’un plan pluriannuel de travaux prescrira, touchant à la façade, à la couverture, aux ouvrants ou au mode de chauffage. On parle de quelques dizaines d’euros par an et par logement, comprenant la location et la maintenance du compteur. Cet équipement présente aussi l’avantage de la télérelève et de la télétransmission au syndic des informations pertinentes pour l’appel des charges.
Alors pourquoi ce faible taux d’équipement ? Les raisons en sont multiples. Le scepticisme quant à l’efficacité ? L’Ademe et bien d’autres institutions ont démontré le bénéfice. La préférence pour le collectif, là où les individualités aiment tant s’exprimer, et le refus de la responsabilité personnelle ? Peut-être. La méconnaissance de la loi ou l’indifférence au risque d’amende ? Possible. L’insuffisante implication des gestionnaires, éconduits une fois et qui ne remontent pas au créneau ? On ne peut l’exclure. En tout cas, il faut d’urgence traiter ce paradoxe : comment les copropriétés s’accommodent-elles de dépenses excessives par manque de responsabilité individuelle indolore, alors qu’elles envisagent des travaux collectifs onéreux… qu’elles peinent d’ailleurs à voter ? Les organisations professionnelles de syndics et le ministère du logement doivent à cet égard travailler de concert pour que la France rattrape son retard en la matière.