La fine équipe

L’heure est grave. En cercle au milieu de la cour, j’avais convoqué tout le monde. Philippe l’architecte, on le surnommait Fifi la moustache, gentil mais stressé ; Serge le ravaleur, alias Tonton anisette, lunette noire, crâne reluisant, il venait de Marseille ; Et Stéphane, le président du conseil syndical, blagueur.

Dans les seconds rôles le soustraitant, Habib, il parlait tout le temps de supplément, et son commis, Thomas, un jeune plein d’espoir. En arrière-plan le sous-traitant du sous-traitant, lui, personne ne savait son nom. C’était le chantier le plus long du monde. Les travaux on sait quand ça commence, on ne sait pas quand ça finit.

Je commence les festivités

– « Dis Serge, ton enduit, ça ne tient pas sur le trumeau, ça craque déjà.

Philippe l’architecte s’agace : «Normal, vous n’avez pas pioché».
– « Bien sûr que si, j’ai gratté ! », s’insurge Serge
– « Faut pas gratter, faut taper».

Serge se retourne.
– « Vas-y Habib, tape. Arrête de caresser la façade ! Bon donne-moi ce marteau, je vais te montrer comment on fait. Tu vois que ça tient ! Ah ben non là ça tient plus ».

Philippe, visage collé au burin, commence à se liquéfier : « je crois que vous venez de casser la moulure 18e siècle ».
Serge retire ses lunettes de soleil et réfléchit.
– « Bon ben c’est à cause du mortier bâtard. Thomas, t’a raté le mélange ».

Thomas ne bronche pas, il va se prendre une avoine une fois dans le camion.
– «Dites la compagnie, pourquoi vous avez repeint le mur en faisant le tour de la plaque du dentiste ? Quand vous refaites votre salon, vous peignez autour du canapé ? Habib, tu m’en remettras une couche. Ok mais ça fera un petit supplément ».

« Calme-toi fifi »

Le président me prend à part.
– « Gilles, il reste combien à leur payer ?».
– « Beaucoup t’inquiète pas (en fait plus trop) ».
– « T’es pas en train de me baratiner là ?».
– « Je passe à la réserve N°72 ».
– « Serge, le siphon, c’est bouché ».
– « Je vois rien c’est flou ».
– « Penche bien ta tête et regarde au fond ».
– « Ah oui, c’est quoi ce magma, c’est de la vase ?».
– « Non, c’est tes gravats ».

Philippe s’énerve et fait des grands gestes, les lunettes volent dans le caniveau.
– « Calme-toi Fifi !, lui dit Serge. Vas pas te blesser ».

L’Ambiance est amicale, Stéphane y va de sa petite vanne : « C’est la faute d’Habib ça, tu es malhabile… Habib. Haha ».
– « Au fait Serge, t’as bien l’autorisation de voirie pour la benne ?».
– « Oui bien sûr. Je te donne ça au bureau, les papelards c’est Jacqueline ».

Stéphane interpelle le sous-traitant : « Dites-moi, vos gars jamais ils nettoient l’échafaudage ? L’autre jour il y avait un nuage de poussière, c’était Tchernobyl ».

ça taille encore dans mon dos

L’heure tourne.
– « Bon messieurs, c’est pas qu’on s’ennuie mais ça fait deux heures qu’on y est ».
– « Ça taille encore dans mon dos. Moi je suis pierreux ! ».
– « Et moi c’est Pierrot».
Festival ! J’avais oublié Pierrot le couvreur.
– «Bon Stéphane, faut se décider là, la porte, on la décape ou on la repeint ? On a qu’à faire entre les deux, ça fait peau de léopard».
– «Ah moi j’aurais dit peau de renard».

Venez me chercher !