La copropriété est un microcosme, avec sa logique interne, ses règles, ses codes et ses singularités. Le rapport des copropriétaires à leur immeuble ne les conduit étrangement pas à lui attribuer une valeur. Cette approche schizophrénique entre un attachement aux parties privatives, auxquelles on donne un prix particulier, et des parties communes qu’on n’a jamais vraiment l’impression de détenir mène à une aberration économique : personne ne considère que son immeuble collectif à une valeur en soi. Tout se passe comme si les copropriétaires estimaient que cette valeur était strictement la somme des valeurs des lots qui composent l’immeuble.
La valeur d’un bien
On pourrait tenir ses considérations pour métaphysiques. En fait, elles expliquent l’insuffisante envie des copropriétaires d’entretenir ou de rénover leur copropriété. Ils ne mesurent pas que la valeur de leur appartement dépend de celle de l’immeuble. Tout au plus ont-ils conscience que l’état de leur entrée commune, de leur cage d’escalier, de leur façade, éléments apparents, compte pour un acquéreur lorsqu’ils cèdent… ou pour un visiteur lorsqu’ils accueillent un invité. Seule la conscience que la valeur des parties privatives dépend largement des parties communes peut déclencher la décision d’engager des travaux significatifs, notamment de transition écologique.
Et celle de l’immeuble
Il reste que cette prise de conscience ne peut être éveillée si aucune valeur n’est calculée ni associée à l’immeuble. Pourquoi les copropriétés ne procéderaient-elles pas à une expertise régulière, par exemple triennale ? Pas de nécessité d’obligation légale… Il serait d’ailleurs bon d’apprendre à s’en passer ! Juste un réflexe de connaissance patrimoniale pour les copropriétaires, avec deux visées pour le syndic : convaincre que l’immeuble, notamment grâce à ses parties communes, est porteur d’une valeur objective supérieure à l’addition des valeurs des lots qu’il comprend, et appréhender ce qui fait évoluer favorablement cette valeur. Pour les travaux de rénovation énergétique, cette dialectique entre parties privatives et parties communes est au cœur du sujet : on sait que redresser la performance d’un logement se fera essentiellement par des travaux sur l’enveloppe, et dans une bien moindre mesure en intervenant dans les parties privatives. On sait aussi que l’effort financier d’un copropriétaire viendra de sa quote-part des parties communes et donc du coût des travaux sur l’immeuble lui-même, plus que des travaux privatifs, dans un rapport de un à quatre ou à cinq. Il en va d’ailleurs ainsi de tous les grands progrès techniques dans l’immeuble, de l’installation des équipements majeurs tel l’ascenseur à la réfection du bâti ou de la couverture. Sans certitude que la valeur de l’immeuble sortira augmentée des travaux préconisés, les copropriétaires ne voteront pas des travaux sur les parties communes.
Transition énergétique
Certes, c’est par le gain en performances énergétiques que l’on va mesurer l’efficacité des travaux de nature environnementale, mais ce seul indicateur ne convertit pas les copropriétaires, et la transition écologique des copropriétés peine à prendre son rythme de croisière. La désolvabilisation des ménages par l’inflation tous azimuts en est évidemment la cause majeure, mais le sentiment d’une dépense plus que d’investissement n’y est pas pour rien. Pis encore, l’impression, peu encourageante, d’une obligation punitive : si vous n’engagez pas les actions correctives, votre appartement va perdre de sa valeur. Il faut administrer la preuve par l’expertise que les travaux font monter la valeur, et de l’immeuble dans son ensemble, et de chaque lot privatif. L’expertise doit être utilisée sans délai comme levier de conscience de la valorisation patrimoniale des copropriétés et des copropriétaires. Passer d’une logique étroitement immobilière à une logique d’actif sera salutaire.