C’est l’ère du service. On a une approche quasi scientifique des prestations et de ce qu’elles doivent être. Au demeurant, le marketing des services est depuis un demi-siècle une discipline à part entière, plus prisée que jamais des étudiants d’écoles de commerce. L’immobilier n’échappe pas à ce mouvement. Qui plus est, ce regard clinique était porté sur les activités de gestion et de transaction immobilière d’une façon encore plus appuyée : les syndics de copropriété, les gestionnaires locatifs, les agents immobiliers sont des mandataires, c’est-à-dire que leurs actions sont précisées dans un contrat qui récapitule leurs obligations.
Cette approche a fini par faire oublier la dimension humaine, incarnée, irrationnelle aussi, du service. Sans doute en copropriété plus qu’ailleurs, avec un interventionnisme de la loi et du règlement plus important. Au demeurant, pour se remettre dans la logique scientifique, on sait que la production de service, par différence avec l’industrie, exige une association de fait entre l’apporteur de service et le client : on appelle ce phénomène presque mystérieux la coproduction, caractéristique de la servuction, nom savant de la production de services. Pour le dire simplement, le copropriétaire est coresponsable du service qui lui est apporté. Les moments d’échange entre le gestionnaire et le copropriétaire sont fréquents, et entre tous l’assemblée générale fait figure de séquence déterminante, celle où les majorités doivent se sceller au profit de l’imm. Les professionnels se plaignent de plus en plus des agressions verbales dont ils sont la cible, les jeunes par priorité. Certes, ils sont conscients a priori que leur mission consiste à concilier des personnes aux situations parfois difficilement compatibles, aux intérêts souvent divergents. Ils prennent également la mesure des tensions que chacun subit dans sa vie personnelle, et que l’assemblée générale est le dernier lieu dans l’ordre de l’expression démocratique, quand on n’a pas pu faire élire le Président de la République que l’on souhaitait, que le dirigeant de votre entreprise ne vous a pas écouté ou encore que vous avez été mis en minorité au sein de votre conseil de famille… Faut-il que les assemblées générales, lieux de débats pour la décision, se fassent défouloirs, exutoires, arènes mêmes ?
Comportements inacceptables
Le manque de respect des gestionnaires n’est pas admissible. Les anecdotes sur des jeunes collaborateurs de cabinet malmenés à en pleurer se multiplient. Les grandes villes sont à cet égard plus propices à la dégradation des comportements, parce que la vie y est pour certains très difficile et que les dérèglements y sont incontestablement plus nombreux et plus graves. La crise des vocations dans la gestion de copropriété a aussi cette cause. Il ne s’agit pas de refuser les servitudes, inévitables contreparties des métiers à forts enjeux, mais de ne pas accepter l’inacceptable. D’ailleurs, dans une communauté, les écarts d’un membre doivent être réfrénés par les autres, sans quoi la complicité est établie, et elle l’est malheureusement dans un nombre considérable de cas. On peut soutenir que cette supplique est naïve et que les relations humaines seront toujours exposées à ces dérapages. En fait, il n’en est rien : la copropriété est un espace d’entente et de solidarité forcées, qu’on le veuille ou non.
La concevoir comme un lieu où tous les coups sont permis, c’est la dévoyer
C’est un temple dont la solidité dépend des piliers juridiques et du ciment social. Le second matériau n’est pas moins crucial que le premier, lui-même fondé sur le contrat social, par définition de la loi républicaine. On peut à ce stade suggérer un code de bonne conduite des copropriétaires, comme il existe désormais des chartes d’entreprise ou de secteur d’activité, que tous signeraient, tel un engagement civique. Juste pour que la copropriété redevienne ce qu’elle n’aurait jamais cessé d’être : un microcosme de partage et de sociabilité.
Et s’il fallait aller jusqu’à espérer un peu de tendresse, on ne serait même pas hors sujet. À mûrir dans cette période de tourments économiques sans précédent, qui éprouvent tant toutes les communautés, les copropriétés comme les autres. L’aménité va jouer un rôle déterminant pour rendre tolérable les problèmes inédits que le pays rencontre.