C’est un étonnant revers de situation : les copropriétaires bailleurs, qu’on a toujours tenus pour peu impliqués dans la vie des immeubles, sont en passe de devenir les leaders de la copropriété. Il aura suffi d’une loi, pas n’importe laquelle certes, la loi du 22 août 2021 « portant lutte contre le réchauffement climatique et renforcement de la résilience face à ses effets », pour que les propriétaires investisseurs passent de la situation de copropriétaires peu engagés à celle de leaders des décisions de travaux dans les immeubles collectifs. Par quel miracle ?
Analyse et enseignements
Les copropriétaires qui n’occupent pas leur logement, soit parce qu’ils le louent soit parce qu’il est pour eux -plus rarement-une résidence secondaire, avaient la réputation de s’intéresser beaucoup moins que les occupants à leur copropriété. La raison est évidente et au fond bien compréhensible : ils ne pâtissent pas des problèmes techniques qui se posent et ne profitent pas non plus des travaux d’amélioration engagés ni des services associés à l’immeuble. On les a toujours désignés du doigt quand il s’agissait de déplorer l’absentéisme lors des assemblées générales. Pour cette raison, les promoteurs qui construisent des logements à destination des investisseurs, acquis grâce à la défiscalisation, ont fini par préférer introduire de la mixité, des résidences principales jouxtant des biens locatifs. Certes, une fraction de bailleurs, sans doute plus encore ceux qui confient la gestion de leur bien à un administrateur de biens, sont enclins à plus d’attention à leur bien que leur situation ne pourrait le laisser augurer : ils savent que de son bon entretien dépendent l’aisance à trouver un locataire stable et respectueux du lieu et la faculté de prétendre à un loyer du meilleur niveau.
Obligation de rénovation pour les bailleurs
La loi Climat résilience vient de créer pour les bailleurs des obligations de rénovation environnementale pour tous les logements mal classés dans l’échelle du diagnostic de performance énergétique, sous peine d’interdiction de louer : les plus énergivores doivent être améliorés au plus tard en 2025 et les moins malades devront avoir fait l’objet des travaux nécessaires au plus tard en 2034. En outre, dès 2022, le loyer des passoires énergétiques ne pourra plus être augmenté lors de leur relocation. Ces contraintes concernent plus de la moitié du parc locatif privé. Il faut ajouter à ce constat deux autres données : 90 % des logements loués sont des appartements, contre 10 % pour les maisons, et dans nos grandes villes les logements locatifs sont majoritaires, de l’ordre de 60 %. Les copropriétaires bailleurs n’ont pas le choix : s’ils veulent continuer à louer, ils devront redresser la qualité technique de leur bien. Or, ils savent qu’ils n’obtiendront pas le relèvement suffisant de la performance énergétique de leur lot par la seule intervention sur les parties privatives et que l’essentiel de l’amélioration viendra du traitement de l’enveloppe, c’est-à-dire de l’immeuble lui-même, sur décision collective du syndicat des copropriétaires. Pourtant, ce sont les bailleurs qui vont désormais être leaders et entraîner la communauté des copropriétaires, là où ils étaient les moins allants naguère. Étonnante réécriture de l’histoire ! Les lecteurs attentifs de la loi du 22 août objecteront que le législateur a prévu qu’un bailleur n’obtienne pas de ses pairs l’adhésion nécessaire et qu’il soit mis en échec pour restaurer la vertu environnementale de son bien : s’il atteste avoir fait toutes les diligences, notamment fait inscrire à l’ordre du jour l’audit énergétique et l’établissement du plan pluriannuel de travaux et sa réalisation, avoir voté le moment venu l’engagement des actions techniques correctives, alors il ne pourra être empêché de louer, son logement restât-il passoire énergétique. Certes, sauf que le bien sera disqualifié de fait et que les locataires lui préféreront un logement plus vertueux, à la fois moins coûteux en charges et plus agréable à habiter. En outre, s’il est saisi par un locataire, le juge pourra corriger le loyer à la baisse, voire obtenir la résiliation du bail dans des cas extrêmes… En clair, le bailleur sera fragilisé. Les syndics vont ajuster leur stratégie et s’appuyer sur ces copropriétaires non occupants pour emporter la partie de la transition énergétique. C’est sur eux et avec eux qu’il va falloir compter. Ils ont la clé du progrès environnemental de nos immeubles collectifs.