La guerre est déclarée entre de grands acteurs de l’univers de la copropriété, la Fnaim, sa Chambre du Grand Paris, ou encore l’Association nationale des gestionnaires de copropriété (ANGC), et Matera, le syndic subversif, qui se défend d’ailleurs de l’être et revendique la mission d’accompagner par des services digitaux les copropriétés dans le cadre du statut du syndicat coopératif. L’affrontement est désormais judiciaire et Matera y a remporté une manche, le juge ayant classé la plainte pour concurrence déloyale. On ne glosera pas sur les affaires en cours : la justice passera, mais à un rythme complètement décalé de celui de l’économie et du commerce. Les adhérents des organisations professionnelles plaignantes se sentent illégitimement agressés par les campagnes de publicité les tournant en dérision et leur intentant un procès en incompétence, mais c’est maintenant qu’ils se croient menacés : Matera multiplie les levées de fonds et développe son portefeuille de clientèle. La start-up se battra pour démontrer à ses investisseurs que son modèle est légal. Ne parlons donc pas des procédures en cours, mais plutôt d’un événement plus récent encore : la ministre du logement s’est rendue au siège de Matera au lendemain de leur levée de 35 millions d’euros, rendant hommage à la réussite de cette start-up. Choquant ? Par le passé, un membre du gouvernement n’aurait jamais pris le risque de heurter les corps intermédiaires installés en donnant son onction à un acteur trublion, dans quelque secteur d’activité que ce soit. Il n’aurait pas pris non plus le risque de sembler prendre fait et cause pour une partie désavouée par les institutions professionnelles devant les tribunaux. D’évidence les temps changent. Qui plus est, Emmanuelle Wargon est allée déclarer là-bas que le monde la copropriété n’avait pas assez évolué et que le législateur devait en prendre acte. Sur le dernier point, on sera réservé : Alur, Elan, bientôt Climat résilience auront changé profondément la copropriété. En revanche, loi ou pas loi, il est troublant que la ministre considère la copropriété comme manquant de modernité.
Qu’en penser ? Pas de fumée sans feu
Comment nier que la perception, sinon la réalité, doivent être améliorées ? On entend souvent des satisfécits de la profession, attestant notamment de la stabilité des clients et leur appréciation favorable. Sur deux terrains, les syndics ne peuvent pas se cacher qu’ils n’ont pas convaincu : leur engagement et leur valeur ajoutée pour valoriser le patrimoine collectif. Le digital les dote d’un moyen puissant de densifier leur relation avec leurs clients, ne serait-ce qu’avec des extranets complets et conviviaux – il reste du chemin à parcourir -, avec plus de réunions numériques ou encore en recourant à des start-up qui savent organiser les échanges fluides au sein des immeubles et créer d’authentiques communautés locales, telles Alacaza ou Chouettecopro. Les syndics ont ainsi la capacité d’être plus que jamais des gestionnaires de l’humain et des générateurs de bien vivre ensemble. Ils doivent aussi devenir les référents des copropriétaires pour la transition environnementale des immeubles collectifs : le législateur leur sert sur un plateau cette mission qui transfigure leur rôle. Ils passent de la conservation des biens à la valorisation du patrimoine de chacun et de tous.
Les copropriétaires attendent ces évolutions
Il ne fait aucun doute que ce nouveau syndic forcera leur respect plus que l’ancien. La loi n’est pas en cause, seulement la conception stratégique du métier. Les textes définissent des missions à minima pour le syndic, sans l’empêcher de tracer un périmètre élargi, dans l’ordre du conseil – que la loi et la jurisprudence lui attribuent depuis l’origine-. Les mêmes textes lui imposent des gestes de communication, en particulier quant à la comptabilité, mais ne l’astreignent pas à la transparence sur toutes ses diligences. Il ne lui est pas non plus explicitement demandé de mettre en œuvre une gestion participative : les syndics les plus efficaces choisissent bel et bien cette voie, et gagnent ainsi la confiance.
Les syndics jouent un rôle plus déterminant que jamais, à l’heure où la cohésion sociale commence par la démocratie de palier et où les ambitions de vertu énergétique obsèdent les esprits, y compris les plus sceptiques. Leurs peurs des nouveaux entrants ne sont pas fondées et ne les feront pas progresser. C’est dans leur sensibilité à la population des copropriétaires et leur goût pour la résolution des situations complexes qu’ils doivent puiser les ferments du progrès. Ou seulement pour les plus avancés le réflexe de faire savoir ce qu’ils font, que le public, la ministre peut-être elle-même ignorent. Changer non pas d’ordinateur comme le suggère Emmanuelle Wargon, ni forcément de langage de programmation comme Matera l’a estimé pertinent… avec impertinence, mais simplement de logiciel, en en choisissant un plus convivial et plus ambitieux.